COMMENT DEVIENT-ON UNE ŒUVRE D'ART ?
Impossible à expliquer clairement. L’activité créatrice d’une œuvre est, selon Nietzsche, « compliquée à miracle ». On l’a donc attribuée à une part divine, ou au génie. Faute de décrire précisément ce processus de transformation, nous présentons ici trois principes pour devenir une œuvre d’art :

LA PART DIVINE
Premier principe : une mystérieuse part divine arrache le créateur à l’ordre des choses humaines et lui confère une dimension sacrée. L’enfant chéri des dieux, ou — pour Kant — de la nature. Pensons au David, La Vierge aux rochers, Le Baptême des néophytes, Nafea Faa Ipoipo…

B. ARNAULT
Second principe : séduire les dieux du capital. Être exposé chez Perrotin (propriété de Colony Capital), passer par la Fondation Louis-Vuitton, recevoir les louanges du magazine Connaissance des Arts. Enfin, finir en apothéose aux enchères chez Phillips .

BIENNALE DE PARIS
Troisième principe : notre proposition. En galerie, posez un point rouge en bas d’un tableau. Reculez de trois pas : la transsubstantiation a eu lieu. L’œuvre, désormais spéculative, est prête pour le marché. Photo, sourire, départ.

BIENNALE DE PARIS
Rejoignez l’envahissement silencieux du monde de l’art par les points rouges. Comme une syphilis coupable, répandez-les discrètement dans les galeries. Chaque gommette posée est un virus conceptuel, un petit sabotage poétique qui transforme le marché en théâtre. Agissez dans l’ombre, laissez votre trace… et regardez la contamination se propager d’exposition en vernissage.

ACHETEZ
Procurez-vous vos points rouges en papeterie ou en ligne. Chaque gommette est une arme conceptuelle, prête à transformer le marché de l’art.

PRÉPAREZ
Choisissez votre cible : une galerie prestigieuse, un espace où l’art contemporain se joue de la spéculation. Planifiez votre visite, observez les œuvres, repérez votre future victime.


COLLEZ
Entrez dans la galerie, approchez-vous de l’œuvre choisie, et posez votre point rouge. Reculez, admirez le résultat : la transsubstantiation a eu lieu, l’œuvre est désormais spéculative.
Marché de l’art, spéculation et transfert symbolique
Le marché de l’art contemporain n’opère plus seulement comme un espace de création, mais comme un lieu de transfert symbolique. Ce qui circulait autrefois dans le registre du sacré – l’aura de l’œuvre, sa rareté, sa valeur initiatique – migre désormais vers les logiques de consommation et de spéculation. Les grandes galeries et les maisons de vente ne vendent pas seulement des œuvres : elles produisent un capital symbolique convertible en prestige social et en valeur financière.
Dans ce mouvement, les objets dérivés (catalogues, éditions limitées, tote bags, mugs) ou les dispositifs scénographiques (shops de musées, vitrines de galeries) jouent un rôle stratégique. Ils transforment l’œuvre en expérience consommable, accessible par fragments, tout en renforçant l’image d’exclusivité qui alimente la spéculation.
Le luxe, longtemps associé à la mode ou à la joaillerie, s’adosse désormais aux codes de l’art contemporain pour légitimer son pouvoir narratif. Réciproquement, les artistes et galeries adoptent les méthodes du branding et de la communication du luxe : storytelling, campagnes publicitaires, collaborations avec des marques. L’œuvre devient ainsi un actif hybride, à la fois bien de consommation culturelle et instrument financier.
Ce qui se joue, au fond, c’est la redéfinition de l’art comme vecteur de prestige et de distinction, où la valeur esthétique s’articule de plus en plus avec des logiques de marché, de marque et de spéculation globale.